À l’Opéra-Comique, des « Fêtes d’Hébé » de la scène à la Seine
Mis en scène par Robert Carsen d’une manière excessivement triviale et blagueuse, l’opéra-ballet de Rameau réjouit moins les yeux qu’il ne ravit l’oreille grâce aux élans dansants vivement distillés par William Christie et ses Arts Florissants.
Pour célébrer l’anniversaire du grand William Christie, qui fête ses 80 ans ce mois-ci, quoi de mieux qu’une longue et belle fête où le chant, le théâtre, la musique et la danse se conjuguent en parfaite harmonie, où l’amour exalte les cœurs qu’il éprouve, mais qu’il charme ? Tout cela se concentre brillamment dans Les Fêtes d’Hébé. Rarement monté, l’opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau se donne à l’Opéra-Comique dans une nouvelle production attendue comme l’un des moments forts de la saison, mais qui ne tient pas toutes ses promesses. Constituée de trois entrées successives et autant de tableaux consacrés aux différents talents lyriques, l’œuvre célèbre le pouvoir stimulant de la jeunesse et des plaisirs, et la pièce s’annonçait comme un galvanisant divertissement.
À la fête, le chef au geste souple et expert délivre un Rameau rythmiquement soutenu, musicalement aussi raffiné qu’enlevé, empreint d’une plaisante vivacité. L’opéra accuse certaines longueurs, mais la direction généreuse et dynamique de William Christie fait entendre toutes les finesses et les éclats de la partition gorgée de couleurs, modelée de contrastes. À la fête également, des chanteurs en parfaite harmonie, dont beaucoup doivent leur éclosion au Jardin des Voix du pépiniériste Christie. C’est le cas d’Emmanuelle de Negri, vivifiante dans le rôle-titre. Parfaitement à l’aise avec le style d’un compositeur avec lequel elle s’est révélée et qu’elle continue à défendre, Lea Desandre est tour à tour Sappho, Iphise et Eglé, trois rôles auxquels elle prête une fraîcheur vocale et une juvénilité scénique qui semblent immuables, une imparable technique, une belle tessiture dotée d’aigus faciles, et surtout un véritable sens de l’incarnation, toujours gracieuse et sensible. Essentielle, la danse énergiquement chorégraphiée par Nicolas Paul occupe une place prépondérante à laquelle la mezzo finit elle-même par prendre part.
Mais, scéniquement, c’est moins l’extase. William Christie retrouve Robert Carsen, un compère de longue date. Comment se lasser de repenser à l’exceptionnelle version qu’il ont ensemble défendu des Boréades de Rameau à l’Opéra de Paris il y a déjà vingt ans, une production à la fois spectaculaire et épurée, d’une poésie organique et atmosphérique, qui paraît à l’opposé de l’épaisseur et du prosaïsme qui caractérisent le travail proposé sur Les Fêtes d’Hébé. Fidèle à son goût pour les transpositions, Carsen tente de rapprocher l’œuvre de l’actualité de ses spectateurs, sans doute moins épris de mythologie que ceux du XVIIIe siècle, ce qu’il fait au moyen d’une redoutable et anecdotique désacralisation. Cela commence par l’évocation d’une certaine Brigitte Macron qui, lors d’un cocktail chic donné à l’Élysée, se voit maladroitement maculée de vin rouge par la serveuse Hébé – dans l’Antiquité, la déesse versait le nectar aux Dieux de l’Olympe. Celle-ci est aussitôt renvoyée par le président jupitérien, qui est son époux. On reconnaît ici la verve satirique que Carsen aime parfois insolemment débrider. On pense à son Candide de Bernstein qui voyait défiler Bush, Chirac, Berlusconi, Blair et Poutine, en slip de bain et avec des coupes de champagne, sur un geyser de pétrole.
Du texte écrit par Antoine-César Gautier de Montdorge, le metteur en scène a retenu ce refrain : « Volons, volons sur les bords de la Seine ! Par des concerts mélodieux / Animons les Plaisirs qui règnent dans ces lieux… » Alors, il fait paraître un Paris doux et estival où s’ébrouent de jeunes gens sous les bouquinistes, au pied du Pont-Neuf ou de Notre-Dame, entre les transats de Paris-Plage et une guinguette éphémère. Cela est parfois drôle, parfois convenu, parfois grossier. Les trois heures du spectacle enchaînent les lieux communs et une surcharge de poncifs populeux qui ne parviennent pas toujours à capter l’intérêt. Rien ne nous sera épargné : les nantis égotiques rivés sur leurs envahissants téléphones portables et faisant des selfies avec l’Allégorie de l’Amour, la soprano Ana Vieira Leite, figurée en pulpeuse pin-up, la Nymphe sortie du fleuve affublée de longues et poisseuses algues, les plagistes urbains en shorts et chemisettes bigarrés, l’équipe de footeux et sa horde de supporters en liesse, comme après la finale de la Coupe du monde, remplaçant les guerriers lacédémoniens de retour du combat. Il ne manquait que les canettes de bière et l’écran plasma, ceux-ci arrivent pour le final.
La magie du spectacle total souhaitée et revendiquée par Rameau est-elle au rendez-vous ? Le dernier tableau enthousiasme davantage en prenant place sur les quais de l’île Saint-Louis où le Mercure virtuose et enfiévré de Marc Mauillon arbore l’aspect d’un chauffeur de moto, comme les talents d’un DJ, pour emporter dans la danse toute une faune de noctambules hip-hopeurs émoustillés. Avec ce clin d’œil appuyé à l’innovant travail de Clément Cogitore et Bintou Dembélé, qui mâtinait avec succès Les Indes galantes de krump et de breakdance, se laisse enfin vraiment contempler la grâce de la jeunesse prise dans l’ivresse de la fête, ce que précisément l’opéra cherche à exalter.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les Fêtes d’Hébé
Opéra-Ballet en un prologue et trois entrées de Jean-Philippe Rameau
Livret Antoine-César Gautier de Montdorge
Direction musicale William Christie
Mise en scène Robert Carsen
Avec Emmanuelle de Negri, Lea Desandre, Ana Vieira Leite, Antonin Rondepierre, Cyril Auvity, Marc Mauillon, Lisandro Abadie, Renato Dolcini, Matthieu Walendzik, les danseur·euses Anli Adel Ahamadi, François Auger, Ambre Aurivel, Pauline Bonnat, Serena Bottet, Jeanne Cathala, Louise Demay, Paul Gouven, Alexandre May, Antoine Salle, Lara Villegas, Guillaume Zimmermann, et les figurant·es Nastia Bagaeva, Lauren Beka, Victorien Bonnet, Thomas Brazete, Adrian Conquet, Olivia Forest, Alice James, Adrien Minder
Choeur et Orchestre Les Arts Florissants
Décors et costumes Gideon Davey
Lumières Robert Carsen, Peter Van Praet
Chorégraphie Nicolas Paul
Vidéo Renaud Rubiano
Assistant à la direction musicale et Chef de choeur Thibault Lenaerts
Assistant musical de William Christie Emmanuel Resche-Caserta
Assistants à la mise en scène Jean-François Martin, Hadrien Delanis
Assistante costumes Marion Bresson
Assistante à la chorégraphie Anna Konopska
Chef de chant continuo (clavecin) Florian Carré
Chef de chant Marouan Mankar-BennisProduction Opéra-Comique
Durée : 3h (entracte compris)
Opéra-Comique, Paris
du 13 au 21 décembre 2024
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !